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11 octobre 2017 3 11 /10 /octobre /2017 21:21
Claude Mazauric Historien

Claude Mazauric Historien

Mercredi, 11 Octobre, 2017 - L'Humanité

 

Les commentateurs minimisent généralement (sans cependant l’ignorer) le mépris pour les couches populaires et les petits salariés que révèle l’interjection d’Emmanuel Macron désignant par le mot de « bordel » le mouvement de lutte des travailleurs victimes de licenciements à La Souterraine (département de la Creuse). Bavure verbale, formulation vulgaire ou excessive, coup de sang, etc. Deux mots d’excuse pour la forme, mais nul regret d’avoir ainsi caractérisé l’action des travailleurs concernés… Et passez muscade !

On me permettra de juger autrement de l’affaire. Ce qui s’exprime à travers la formulation de Macron vient de bien plus loin que de lui : sa nature profonde, c’est tout simplement le mépris de classe qu’éprouvent les adorateurs du capital pour ceux qui n’ont qu’un bien à vendre : leur force de travail. Ou, si l’on préfère recourir au champ de l’anthropologie et de la morale, la dernière formule de Macron, venant après tant d’autres, dit la morgue des dominants à l’égard des dominés, le mépris des « riches » à l’encontre des « pauvres ». Macron ne parle pas (ou si peu…), mais « ça » parle à travers lui. C’est de cela qu’il est question ici et c’est de cela que procédera demain la mort politique de Macron comme elle a entraîné naguère la chute de ses prédécesseurs faillis : Sarkozy, Hollande, Fillon et Valls !

Je lis dans le Livre du ça de Georges Groddeck, recueil de lettres réunies en 1921 (« Tel », Gallimard, 1972) : « Le ça de l’être humain “pense” bien avant que le cerveau n’existe ; il pense sans cerveau, construit d’abord le cerveau. C’est une notion fondamentale, que l’être humain devrait garder présente à sa mémoire et ne cesse d’oublier (…). En principe, tout ce qui se passe dans l’homme est l’œuvre du ça. »

Quand le sieur Macron parle, ce que nous entendons, qu’on l’approuve ou qu’on le désapprouve selon sa position dans l’ordre social, c’est d’abord l’ancrage antérieur dans le cerveau du locuteur qu’il révèle. Quoi qu’il dise d’explicite, Macron parle toujours implicitement la langue du capital et de son appareil existentiel : patronat, profit, accumulation… Lors même qu’il s’essaie à traiter de liberté, de progrès, de justice, c’est ce ça qui parle à travers lui : nous le supposions, mais sa dernière sortie confirme l’hypothèse.

C’est pourquoi nombreux sont ceux qui ont fort bien entendu le message subliminal inclus dans la désignation du prétendu « bordel » : intenter un procès en illégitimité de la lutte conduite par les travailleurs de GM&S pour dissuader tous les autres d’emprunter cette voie de résistance collective.

Qui disait qu’il ne « croyait pas à la lutte des classes » ? Cahuzac… Macron et Cahuzac, même combat ?

 

Claude Mazauric

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27 septembre 2017 3 27 /09 /septembre /2017 22:16
Roland Gori et Charles Silvestre. Mathieu Cugnot

Roland Gori et Charles Silvestre. Mathieu Cugnot

Pierre Chaillan - Mardi, 26 Septembre, 2017 - L'Humanité

Les Amis de l’Humanité Puy-de-Dôme, en partenariat avec l’Humanité, organisent le Salon du livre critique et social à la Maison du peuple de Clermont-Ferrand, les 29 et 30 septembre.

Le rendez-vous de la rentrée proposé par les Amis de l’Humanité Puy-de-Dôme constituera un temps très fort. Des débats et de nombreuses rencontres et dédicaces autour des livres et de leurs auteurs se dérouleront durant deux jours à Clermont-Ferrand, à la Maison du peuple. Un important choix d’ouvrages pour comprendre et transformer le monde sera mis à disposition : romans, essais, BD. On comptera aussi la présence des associations qui auront à cœur d’affirmer leurs actions, sans oublier l’exposition thématique d’affiches et de reproductions de l’Humanité.

Le salon ouvrira ses portes vendredi 29 septembre, à 16 heures, et sera inauguré sous les auspices des droits des femmes avec la présentation de l’ouvrage la Déclaration des droits des femmes du 7 novembre 1947 aux Nations unies, illustré par de nombreuses interventions artistiques et accueillant les contributions les plus diverses.

Le célèbre poème de Paul Éluard, Liberté, j’écris ton nom, sera lu par la comédienne Josépha Jeunet.

Place ensuite au débat sur le thème « Et maintenant ? La France. Le monde », avec Jean-Emmanuel Ducoin, rédacteur en chef de l’Humanité. Ce sera de 19 heures à 21 heures. Le lendemain, samedi 30 septembre, de 10 heures à 12 heures, l’invité sera Willy Pelletier, coordinateur de la Fondation Copernic. Il abordera la double thématique « Nouvelle bourse du travail intellectuel » et « Les classes populaires et le FN ». Seront ensuite à l’honneur, à partir de 14 heures, « Les dessins de presse, et autres » : la dessinatrice Coco partagera ce temps d’échanges et de dédicaces avec le public puydômois. Franck Dhumes, illustrateur et directeur de publication à la Galipote, et Hélène Aldeguer, illustratrice et coauteure avec Alain Gresh de la BD Un chant d’amour Israël Palestine, une histoire française, participeront au débat de 14 heures à 16 heures. Puis, de 16 heures à 18 heures, l’ancien rédacteur en chef de l’Humanité, spécialiste de Jaurès, Charles Silvestre, présentera le Manifeste des œuvriers, lancé au printemps dernier, avec le psychanalyste Roland Gori et le musicien Bernard Lubat, comme « première pierre » de concordances. Comment unir tous les mouvements de résistance ? Une question qui traversera les rencontres dans les différents stands associatifs. 

Pierre Chaillan

 

 

 

 

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30 juillet 2017 7 30 /07 /juillet /2017 23:07
AFP

AFP

Jean Ortiz - Vendredi, 28 Juillet, 2017

Texte très intéressant de notre ami et camarade Jean Ortiz. Ça change de la langue de bois. REM, (La République En Marche du Président Macron) publie à partir de ce lundi un cahier pour comprendre la langue de Macron.

 

« Commençons à construire un monde plus lent, plus jouissif, moins anxiogène, par la résistance quotidienne aux logiques économiques et financières folles autant que prédatrices. Leur monde est sans âme. »

Photo : Mourad Laffitte

Photo : Mourad Laffitte

De Pau, allez savoir pourquoi, on « monte » à Paris. En réalité, on descend vers Paris, au niveau de l’amer. « Et la mer et l’amour ont l’amer pour partage » (Marbeuf). En partance pour Fabien. « Monter » traduit le vieux complexe des provinciaux ploucs que l’on voudrait bien que nous soyons. A moins que ce ne soit que perception géométrique.

 

Arrivés à la gare de Pau, son château et son ministre effet maire, on nous indique que ce train ne va pas directement à Bordeaux. Il passe d’abord par Bayonne, et ira peut-être un jour visiter la Cité de Carcassonne avant de rejoindre Bordeaux. Des énergumènes tout de blanc vêtus s’évertuent à paraître joviaux, alors qu’ils ne sont que clonés, le drapeau rouge parodiquement noué autour du cou. « Nous sommes ‘festayres’, pas révolutionnaires ». Quoi que... Je connais de jeunes Basques courageux, et qui s’enflamment rapidement. Ce sont les fêtes de Bayonne, de plus en plus semblables à la Fête de la bière munichoise. On s’éclate, on se bourre, on s’égare même parfois ; on cuve, on décuve, on re-cuve. « La resaca ». Le ressac. La gueule de rail.

 

Après Bordeaux, le train s’envole. Personne au bar. Chacun reste agrippé à son fauteuil, vaguement inquiet. 327 km/h de pointe, faut pas décoller! On fait la course avec les nuages, et on gagne plus d’une heure. C’est ce que l’on appelle le progrès, ma bonn’ dame. Toujours plus vite, toujours plus concurren-ciel et démen-ciel. Quelle avancée de civilisation !! Tout est dopé... au profit, à l’ex-EPO, aux descendants du « pot belge » Oui, mais une heure en avance, c’est aussi une heure perdue pour la rêverie, la transition mélancolique d’un lieu vers l’autre. A quand une civilisation de la lenteur ? Les Zapatistes appellent leur communautés les « caracoles » (escargots). Commençons à construire un monde plus lent, plus jouissif, moins anxiogène, par la résistance quotidienne aux logiques économiques et financières folles autant que prédatrices. Leur monde est sans âme.

 

Le téléphone sonne. C’est Laurent (P.) « Où es-tu ? » « Je vole! » « Tu es devenu pickpocket ? » « Je ne vole qu’aux riches ». Qui dort, dogne, devise du Péri-gourdin Laurent.

 

Arrivée gare de Montparnasse, sur trois pieds. La canne est le prolongement de l’homme. Mais quai’c’est, çà ? Où est passée la fin du quai ? Il ne cesse de s’élastiser. La capitale capitalise tout, le moindre cm². Pisser coûte un euro. C’est cher la goutte ! Le temps presse le pas déjà pressé des voyageurs impatients d’être ailleurs, toujours. Une fourmilière follement affairée (mais à quoi ? à chercher le bonheur où il n’est pas ?) est soudain traversée par des militaires de Vigipirate qui baladent leurs flingues fringants. Je ne sais pas pourquoi, mais cela ne me rassure pas.

 

Je m’approche de Fabien ; Lydie s’impatiente. Sur le chemin, j’achète l’Huma. Vieil atavisme salutaire. Elle titre sur le Venezuela. Elle est bien la seule, avec l’HD, à manifester solidarité. L’internationalisme n’est plus ce qu’il était, surtout en été, mais de grâce, pas de leçon de ceux qui se taisent, ne bougent pas le petit doigt, ou pire encore, participent au lavage de cerveau général. C’est l’honneur de la presse communiste d’être la seule à soutenir, un soutien raisonné mais déterminé, la révolution bolivarienne, à dire à Washington « Bas les pattes! Le Venezuela ne sera pas le Chili ». Michel, notre ami l’Ambassadeur du Venezuela est ovationné. Il lance mille alertes contre l’indifférence, la passivité. L’issue approche, elle peut être sanglante. Elle ne saurait l’être.

 

J’ai également acheté L’Obs qui fait son dossier Guevara, à charge, comme d’habitude, et plein d’erreurs, auxquelles nous répondrons prochainement.

Retour au quai n°8 de Montparnasse. « Pau, rame de queue » claironne une voie nasillarde, celle de « l’hôtesse de train ». Rame de queue ? Maintenant que Bayrou n’est plus ministre, à Pau, on « rame de queue ».

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25 juillet 2017 2 25 /07 /juillet /2017 20:30
Maximilien Robespierre, "L'incorruptible" - Photo : Rue des Archives/Tal

Maximilien Robespierre, "L'incorruptible" - Photo : Rue des Archives/Tal

Sylvie Ducatteau - Lundi, 24 Juillet, 2017 - L'Humanité

Les grands discours de la République. 10 mai 1793, séance de la Convention. Paris

L’homme est né pour le bonheur et pour la liberté, et partout il est esclave et malheureux ! La société a pour but la conservation de ses droits et la perfection de son être, et partout la société le dégrade et l’opprime ! Le temps est arrivé de le rappeler à ses véritables destinées ; les progrès de la raison humaine ont préparé cette grande révolution, et c’est à vous qu’est spécialement imposé le devoir de l’accélérer (...). Jusqu’ici l’art de gouverner n’a été que l’art de dépouiller et d’asservir le grand nombre au profit du petit nombre, et la législation le moyen de réduire ces attentats en système : les rois et les aristocrates ont très bien fait leur métier ; c’est à vous maintenant de faire le vôtre, c’est-à-dire de rendre les hommes heureux et libres par les lois (…).

 

L’intérêt du peuple, c’est le bien public ; l’intérêt de l’homme en place est un intérêt privé. (…) Le gouvernement est institué pour faire respecter la volonté générale ; mais les hommes qui gouvernent ont une volonté individuelle, et toute volonté cherche à dominer : s’ils emploient à cet usage la force publique dont ils sont armés, le gouvernement n’est que le fléau de la liberté. Concluez donc que le premier objet de toute Constitution doit être de défendre la liberté publique et individuelle contre le gouvernement lui-même.

C’est précisément cet objet que les législateurs ont oublié : ils se sont tous occupés de la puissance du gouvernement ; aucun n’a songé aux moyens de le ramener à son institution ; ils ont pris des précautions infinies contre l’insurrection du peuple (…).

Nous, malheureux, nous élevons le temple de la liberté avec des mains encore flétries des fers de la servitude ! Qu’était notre ancienne éducation, sinon une leçon continuelle d’égoïsme et de sotte vanité ? Qu’étaient nos usages et nos prétendues lois, sinon le code de l’impertinence et de la bassesse, où le mépris des hommes était soumis à une espèce de tarif, et gradué suivant des règles aussi bizarres que multipliées ? Mépriser et être méprisé, ramper pour dominer ; esclaves et tyrans tour à tour ; tantôt à genoux devant un maître, tantôt foulant aux pieds le peuple (...). Faut-il donc s’étonner si tant de marchands stupides, si tant de bourgeois égoïstes conservent encore pour les artisans ce dédain insolent que les nobles prodiguaient aux bourgeois et aux marchands eux-mêmes ? (...) voilà pourquoi le sein de la patrie est déchiré par les traîtres ! Voilà pourquoi les satellites féroces des despotes de l’Europe ont ravagé nos moissons, incendié nos cités, massacré nos femmes et nos enfants ! Le sang de trois cent mille Français a déjà coulé ! Le sang de trois cent mille autres va peut-être couler encore, afin que le simple laboureur ne puisse siéger au Sénat à côté du riche marchand de grains, afin que l’artisan ne puisse voter dans les assemblées du peuple à côté de l’illustre négociant ou du présomptueux avocat, et que le pauvre, intelligent et vertueux, ne puisse garder l’attitude d’un homme en présence du riche imbécile et corrompu ? (…)

Vous donc, à qui la liberté, à qui la patrie est chère, chargez-vous seuls du soin de la sauver, et puisque le moment où l’intérêt pressant de sa défense semblait exiger toute votre attention est celui où l’on veut élever précipitamment l’édifice de la Constitution d’un grand peuple, fondez-la du moins sur la base éternelle de la vérité ! Posez d’abord cette maxime incontestable : que le peuple est bon, et que ses délégués sont corruptibles ; que c’est dans la vertu et dans la souveraineté du peuple qu’il faut chercher un préservatif contre les vices et le despotisme du gouvernement. (...) Fuyez la manie ancienne des gouvernements de vouloir trop gouverner ; laissez aux individus, laissez aux familles le droit de faire ce qui ne nuit point à autrui ; laissez aux communes le pouvoir de régler elles-mêmes leurs propres affaires en tout ce qui ne tient pas essentiellement à l’administration générale de la République ; en un mot, rendez à la liberté individuelle tout ce qui n’appartient pas naturellement à l’autorité publique, et vous aurez laissé d’autant moins de prise à l’ambition et à l’arbitraire.

Les tensions sont fortes à l’Assemblée et dans le pays, lorsque Maximilien de Robespierre intervient devant la Convention, le 10 mai 1793. L’ordre du jour est consacré à la nouvelle Constitution, la seconde de la Révolution et de l’histoire de France. La nouvelle Constitution a été rendue nécessaire par le renversement de la monarchie au lendemain de la journée révolutionnaire du 10 août 1792. La Convention adoptera ce qui deviendra la Constitution de l’An I, le 24 juin 1793. Le texte constitutionnel ne sera finalement jamais appliqué, victime du contexte de l’été 1793, lorsque la République fait face tout à la fois aux révoltes contre-révolutionnaires et aux attaques des armées étrangères sur plusieurs fronts. Considérée comme la plus démocratique de France, aucune des quatre Constitutions qui lui succéderont jusqu’à aujourd’hui ne consacrera autant la souveraineté du peuple. Une souveraineté absolue, incarnée par l’article 35 : « Quand le gouvernement viole les droits du peuple, l’insurrection est, pour le peuple et pour chaque portion du peuple, le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs. » Il s’agit là de l’unique reconnaissance du droit à l’insurrection de l’histoire républicaine. Robespierre, dans son discours du 10 mai, comme il n’a de cesse de le faire devant la représentation nationale, pourfend les représentants du peuple qui se détournent des valeurs et principes de la grande Révolution. Une fois de plus, il fustige ceux qui méprisent le peuple. « Posez cette maxime, leur dit-il, que le peuple est bon, et que ses délégués sont corruptibles ; que c’est dans la vertu et dans la souveraineté qu’il faut chercher un préservatif contre les vices et le despotisme du gouvernement. »

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7 mars 2017 2 07 /03 /mars /2017 21:47

Le documentaire « Aujourd’hui comme hier, combattre l’extrême droite - Histoire croisée du syndicalisme et de l’extrême droite »a été réalisé par l'IHS-CGT, dans le cadre de la campagne CGT-Solidaires-FSU-Unef-FIDL-UNL « Combattre l’extrême droite, ses idées, ses pratiques » initiée le 29 janvier 2014 à la Bourse du travail de Paris. Ce documentaire de 11 minutes peut être utilisé dans le cadre de formations, de débats, de réunions publiques et permet de se réapproprier l'histoire de la lutte antifasciste d'un point de vue syndical.

« Aujourd'hui comme hier, combattre l'extrême droite » - Suite à notre article d'hier "Décrypter les programmes de la réaction : Aujourd’hui il est utile de travailler sur les programmes des candidats, de les faire comprendre, de les décrypter !"
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21 février 2017 2 21 /02 /février /2017 23:12

Il y a 73 ans, le 21 février 1944, les 22 membres du groupe Manouchian sont arrêtés, condamnés à mort et fusillés le même jour au Mont-Valérien. Olga Bancic, la seule femme du groupe, sera envoyée en Allemagne et décapitée le 10 mai 1944. Onze ans plus tard, Louis Aragon leur rend hommage en un magnifique poème Strophes pour se souvenir . En 1959, Léo Ferré le met en musique, le chante et le fais connaître sous le titre l'Affiche Rouge. Le groupe Manouchian, du nom de leur chef Missak Manouchian, était formé de résistants communistes membres des Francs-tireurs et partisans - Main-d’œuvre immigrée (FTP-MOI). 

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15 novembre 2016 2 15 /11 /novembre /2016 19:24

Les procureurs d’Istanbul en Turquie réclament la réclusion à perpétuité pour Aslı Erdoğan. La romancière a rédigé et adressé une lettre depuis la prison où elle est retenue. Nous l'avons mise en voix.

Un appel à diffuser les textes d’Asli Erdoğan

 

La romancière Aslı Erdoğan - Photo : DR

La romancière Aslı Erdoğan - Photo : DR

Laurence Mauriaucourt - Mardi, 15 Novembre, 2016 – Humanite.fr

 

Les écrivains français Tieri Briet et Ricardo Montserrat commencent à rassembler des textes signés de la romancière emprisonnée à Istanbul. Pour exiger sa libération, ces écrits ont vocation à être diffusés de toutes les manières possibles.

 

« C'est donc la prison à vie qu'ont réclamé, jeudi 10 novembre 2016, les procureurs d'Istanbul contre Aslı Erdoğan ! Et l'emprisonnement d'une romancière jusqu'à sa mort, c'est l'assassinat prémédité d'une littérature qui entend rester libre ! », s’exclament les écrivains français Tieri Briet et Ricardo Montserrat qui diffusent et appellent à diffuser une lettre et des textes de la romancière emprisonnée à Istanbul. « Lisons partout les textes d'Asli Erdogan à voix haute, partageons leur beauté face à un Etat devenu assassin. Jusqu'à la libération d'Aslı Erdoğan ! », lancent-ils. Des textes commencent à être rassemblés et à circuler sur internet. Ils ont vocation à être lus « à diffuser partout dans les théâtres, les librairies, les festivals, les médiathèques... ». Les deux auteurs poursuivent : « Ils appartiennent à tous ceux qui veulent défendre une littérature vivante et impossible à soumettre. Diffusez-les par mail, sur les réseaux sociaux et les blogs, en les affichant sur les murs de nos villes, en les lisant dans les théâtres, les festivals, les Nuit debout, les repas entre amis, partout où vous pourrez ».

Parmi les textes partagés et partageables, cet autoportrait de la jeune femme, tel qu’il avait été lu sur France Inter en septembre 2016 :

« Je suis née à Istanbul en 1967. J'ai grandi à la campagne, dans un climat de tension et de violence. Le sentiment d'oppression est profondément enraciné en moi. L'un de mes souvenirs, c'est à quatre ans et demi, lorsqu'est venu chez nous un camion rempli de soldats en armes. Ma mère pleure. Les soldats emmènent mon père. Ils le relâchent, plusieurs heures après, parce qu'ils recherchaient quelqu'un d'autre. Mon père avait été un dirigeant important du principal syndicat étudiant de gauche. Mes parents ont planté en moi leurs idéaux de gauche, mais ils les ont ensuite abandonnés. Mon père est devenu un homme violent. Aujourd'hui il est nationaliste. J'étais une enfant très solitaire qui n'allait pas facilement vers les autres. Très jeune j'ai commencé à lire, sans avoir l'intention d'en faire mon métier. Je passais des journées entières dans les livres. La littérature a été mon premier asile. J'ai écrit un poème, et une petite histoire que ma grand-mère a envoyés à une revue d'Istanbul. Mes textes ont été publiés, mais ça ne m'a pas plus du tout : j'étais bien trop timide pour pouvoir me réjouir. Plusieurs années plus tard, à 22 ans, j'ai écrit ma première nouvelle, qui m'a valu un prix dans un journal. Je n'ai pas voulu que mon texte soit publié. J'étais alors étudiante en physique. Je suis partie faire des recherches sur les particules de haute énergie au Centre Européen de Recherche Nucléaire de Genève. Je préparais mon diplôme le jour et j'écrivais la nuit. Je buvais et je fumais du haschich pour trouver le sommeil. J'étais terriblement malheureuse. En arrivant à Genève, j'avais pensé naïvement que nous allions discuter d'Einstein, de Higgs et de la formation de l'univers. En fait je me suis retrouvée entourée de gens qui étaient uniquement préoccupés par leur carrière. Nous étions tous considérés comme de potentiels prix Nobel, sur lesquels l'industrie misait des millions de dollars. Nous n'étions pas là pour devenir amis. C'est là que j'ai écrit Le Mandarin miraculeux. Au départ j'ai écrit cette nouvelle pour moi seule, sans l'intention de la faire lire aux autres. Elle a finalement été publiée plusieurs années plus tard. Je suis retournée en Turquie, où j'ai rencontré Sokuna dans un bar reggae. Il faisait partie de la première vague d'immigrés africains en Turquie. Très rapidement je suis tombée amoureuse de lui. Ensemble, nous avons vécu tous les problèmes possibles et imaginables. Perquisitions de la police, racisme ordinaire : on se tenait la main dans la rue, les gens nous crachaient dessus, m'insultaient ou essayaient même de nous frapper. La situation des immigrés était alors terrible. La plupart étaient parqués dans un camp, à la frontière entre la Syrie et la Turquie. Plusieurs fois, j'ai essayé d'alerter le Haut Commissariat aux Réfugiés de l'ONU sur leur sort. Mais c'était peine perdue. Je ne faisais que nous mettre davantage en danger Sokuna et moi. Puis Sokuna a été impliqué dans une histoire de drogue et il nous a fallu partir. Des amis m'ont trouvé une place dans une équipe de scientifiques au Brésil, qui travaillaient sur ma spécialité. Je pouvais y terminer mon doctorat, mais Sokuna n'a pas pu me suivre. Il a disparu, un an après. Je suis restée seule avec mes remords. Rio n'est pas une ville facile à vivre pour les migrants. J'ai alors décidé de renoncer à la physique pour me consacrer à l'écriture. Mais ce n'est qu'à mon retour en Turquie que j'ai écrit La Ville dont la cape est rouge, dont l'intrigue se passe à Rio. L'héroïne est une étudiante turque, qui se perd dans l'enfer de la ville brésilienne. J'étais étrangère au Brésil, mais aussi étrangère en Turquie. Je ne me sens chez moi que lorsque j'écris. Vingt ans plus tard, aujourd'hui, je me sens toujours comme une sans-abri. J'aime bien Cracovie, je pourrais y rester encore longtemps, mais je sais bien qu'il faut laisser la place à ceux qui attendent un asile. Il faudra bien que je retourne en Turquie. En attendant, chaque jour, je me dis que dans mon pays tout le monde sait bien que je suis devenue l'écrivaine turque la plus populaire. Tout le monde le sait, mais pourtant tout le monde se tait. C'est sans doute cela, aujourd'hui, l'exil le plus terrible ».


 

Des citations traduites extraites des œuvres d’Asli Erdoğan :

« Quand Michelle est en marche, elle tient tête au monde entier. » Aslı Erdoğan, Le Mandarin miraculeux

« L’écriture est sacrée et il faut la protéger. » Aslı Erdoğan, extrait d'un entretien avec Mehmet Basutçu.

« L'art de conter une histoire n'est-il pas un peu celui d'attiser les braises sans se brûler les doigts? » Aslı Erdoğan, Le bâtiment de pierre (Actes Sud, traduit du turc par Jean Descat).

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23 octobre 2016 7 23 /10 /octobre /2016 22:38
Photo : Silverhub Médias/Sipa

Photo : Silverhub Médias/Sipa

ENTRETIEN RÉALISÉ PAR MICHAËL MELINARD - Vendredi, 21 Octobre, 2016 Humanité Dimanche

 

Comme ces athlètes qui effectuent un come-back victorieux, Ken Loach a annoncé sa retraite en 2014 avant de revenir récolter une deuxième palme d'or pour Moi, Daniel Blake. Pourtant, à 80 printemps, le cinéaste britannique conserve une timidité et une humilité non feintes. Avant de répondre à la moindre question, il s'inquiète de la santé de « l'Humanité » et de l'« HD », comme on demande des nouvelles à un vieux camarade. Rencontre avec le cinéaste qui porte la classe ouvrière à l'écran pour en faire une héroïne.

HD. Pourquoi avoir décidé de raconter l'histoire de cet ouvrier sexagénaire aujourd'hui ?

Ken Loach. Il fait partie de ce groupe de personnes vulnérables. Il a travaillé dans l'industrie puis dans l'artisanat traditionnel. Il ne maîtrise pas les nouvelles technologies. Il a des problèmes de santé, mais ne réclame jamais rien. C'est tout à fait le type de personne que le gouvernement britannique veut exclure des listes du chômage.

HD. Comment expliquez-vous qu'un gouvernement dirige le pays contre son propre peuple ?

Ken Loach. Les dirigeants le font consciemment. Ils se servent de la santé des citoyens pour faire baisser les statistiques. Ils savent que les gens malades qui font appel de leur radiation des listes de chômage gagnent. Mais beaucoup sont démoralisés ou se sentent trop faibles pour faire appel. Les tentatives de suicide augmentent. Mais le gouvernement gagne puisque ces gens perdent leurs allocations. Le problème est idéologique. Ils veulent faire croire aux pauvres qu'ils sont des incapables et feignent d'ignorer que près de 2 millions de personnes sont sans emploi. « Si vous n'avez pas de travail, c'est parce que votre CV n'est pas bon, parce que vous êtes arrivé en retard à un rendez-vous, parce que vous ne maîtrisez pas la technologie ou parce que vous n'avez pas postulé pour tel travail. Quelle que soit la raison, vous avez échoué par votre propre faute. » Si les gens n'admettent pas qu'ils sont responsables, ils vont s'en prendre au système. Ce que les dirigeants veulent éviter puisqu'ils sont là pour le protéger et l'étendre. Il y a toujours eu cette conscience, si l'on se réfère à l'ère élisabéthaine et aux lois sur les indigents, que les mendiants devaient être conduits hors de la paroisse. À l'ère victorienne, l'idée était de différencier les « pauvres méritants » des autres, de voir qui mérite de l'aide et qui n'en est pas digne.

HD. Pourquoi vous est-il si nécessaire de montrer la classe ouvrière à l'écran ?

Ken Loach. La présence physique des gens montre leur histoire. Les rides, le maintien, leurs mains, leur alimentation indiquent leur classe sociale, la vie qu'ils mènent. On peut voir la pauvreté sur la texture de la peau.

Nous essayons toujours de privilégier l'authenticité. Quand j'ai filmé la queue devant la banque alimentaire, j'ai tourné en décors réels avec des bénéficiaires... payés au tarif syndical. Car on ne peut pas faire un film sur l'exploitation en exploitant les gens.

HD. Que vous inspire le Brexit ?

Ken Loach. C'était un débat compliqué pour toute la gauche. L'Union européenne est une organisation néolibérale. Elle promeut la privatisation, la sous-traitance dans les services publics. La manière dont elle a traité la Grèce pour permettre aux entreprises privées de racheter les services publics est une politique de classe en faveur de la finance. Mais sortir de l'UE est aussi l'assurance que le gouvernement conservateur supprime le minimum de protection pour les travailleurs et l'environnement. Les investisseurs préfèrent être dans l'Union (pour bénéficier du dumping social).

Pour rester compétitifs et rendre le travail moins cher, les salaires vont baisser. Les impôts vont diminuer, mais cela va réduire les moyens pour la santé, l'éducation, la protection sociale. Les attaques contre les personnes vulnérables, comme Daniel Blake, vont se multiplier. C'est pourquoi j'ai voté pour le Remain (maintien dans l'UE ­ NDLR), même si je ne soutiens pas l'Union européenne comme organisation économique.

HD. Quel regard portez-vous sur le vote d'une partie des classes populaires pour l'extrême droite ?

Ken Loach. La classe ouvrière n'est plus représentée par le Parti travailliste. Elle a été fidèle au Labour, mais, dans toute son histoire, ce parti a toujours soutenu les patrons. En 1926, lors de la grande grève, le leader travailliste a dit qu'il n'avait rien à voir avec ce mouvement. Pendant la grève des mineurs en 1984, son successeur a répété la même chose. Quand les travailleurs font grève, les parlementaires travaillistes sont absents. Le Labour a privatisé, limité les droits syndicaux. Il s'est comporté comme un gouvernement conservateur et a perdu, au fur et à mesure, le soutien des classes populaires. Dans le même temps, toute la presse populaire titrait : « Tu ne peux pas avoir de maison mais cet immigrant le peut » ; « Tu veux travailler mais l'immigré prend ton job pour un salaire moitié moindre » ; « Tu dois travailler pour un salaire de misère et mais regarde toutes les allocations allouées à l'immigré avec tous ses enfants »... Ce poison s'est répandu quotidiennement. Les « anti-immigration » ont grandi. La BBC, toujours polissée, a accordé un immense temps d'antenne à l'extrême droite de Nigel Farage. C'était : « Qu'a dit Nigel Farage aujourd'hui ? » Il le présentait, certes, comme un plaisantin, mais il était omniprésent. On n'a pas entendu la gauche.

Entre ce démagogue très persuasif, cette propagande quotidienne contre l'immigration et ces gens qui se sentent aliénés, les ingrédients du fascisme sont là. C'est comme pour Trump. Il n'y en avait que pour lui, rien pour Bernie Sanders. J'imagine que c'est la même chose pour Marine Le Pen en France.

HD. En France, on est censé respecter l'équité du temps de parole entre les différents candidats...

Ken Loach. C'est la même chose en Grande-Bretagne. Mais ils ne la respectent pas. Vous connaissez Jeremy Corbyn ? Une étude universitaire montre que dans les 10 premiers jours de la campagne de l'élection du dirigeant travailliste, la BBC diffusait 2 fois plus de discours anti-Corbyn que pro-Corbyn, sans tenir compte de toutes les moqueries et critiques des éditorialistes. Voilà l'arrogance de la classe dirigeante.

HD. Avec l'arrivée de Jeremy Corbyn, croyez-vous de nouveau au Parti travailliste ?

Ken Loach. Le Labour a toujours été social-démocrate avec une direction de droite. Ils ont eu une rhétorique sur la classe ouvrière dans le but de protéger les employeurs. Le Parti travailliste a toujours eu un courant socialiste, plus ou moins fort selon les époques, avec parfois de petits éléments de marxisme. Avec Blair, ils ont complètement disparu. Il y a un petit groupe de sociaux-démocrates de gauche, des hommes de principe comme Jeremy Corbyn et John McDonnell, qui se sont opposés partout aux privatisations. Ils ont mené le mouvement anti-guerre aux côtés de personnes n'appartenant pas à leur parti. Ces hommes suivent les pas de Tony Benn (1). Grâce à une erreur tactique de l'aile droite du parti, Jeremy Corbyn a été proposé comme candidat.

Ils étaient sûrs qu'il ne serait jamais élu et passaient à bon compte pour démocrates. Finalement 60 % des militants ont voté pour lui. Quand il a gagné, l'aile droite l'a attaqué sur tous les fronts, l'a accusé de diviser le parti. C'est le premier leader du Parti travailliste à s'être rendu, à ce titre, sur un piquet de grève. Aucun ne l'avait fait en plus de 100 ans. Il a proposé, s'il est élu premier ministre, d'éliminer les sociétés privées du service de santé, de re-nationaliser tous les transports en commun. De grosses multinationales perdraient de leur influence. Il n'a pas pris d'engagement pour les autres services publics comme l'eau, le gaz, l'électricité, l'énergie nucléaire... mais un débat sur la pertinence de les enlever des mains du privé se déroule. Il parle d'investir de l'argent public dans l'industrie et de régénérer des zones où les gens sont aliénés. L'argent du privé serait ratissé. Ce serait une grosse entrave aux entreprises privées qui ont réalisé d'immenses profits sur le dos des services publics. C'est pourquoi il est attaqué. Après, les attaques viendront de la Banque mondiale, de la Commission européenne et sûrement des États-Unis.

Jusque-là, toutes les tentatives de transformer le Labour en parti de masse ont échoué. Là, il vient de passer de 190 000 à près de 600 000 membres. Cet homme présenté par la presse comme impopulaire et pathétique a attiré près d'un demi-million de personnes pour transformer le Labour en plus grand parti social-démocrate d'Europe. C'est incroyable car ce sont surtout des jeunes. C'est, je l'espère, un mouvement de fond.

(1) Tony Benn est une figure de l'aile gauche travailliste. Il fut ministre de l'Industrie puis de l'Énergie dans les années 1970. Il a milité pour l'abolition de la chambre des lords, contre les guerres des Malouines, d'afghanistan, d'Irak. Il s'est opposé à l'adhésion à l'union européenne et a même proposé de faire de la Grande-bretagne une république. Il est mort en 2014.


 

Moi, Daniel Blake. Ken Loach vote l'humain contre le marché

À peine remis d'un accident cardiaque, un ouvrier se voir interdire de travailler tout en perdant sa pension d'invalidité. Il rencontre une mère célibataire également exclue du système. Pour son 20ème long métrage, Ken Loach raconte l'histoire d'un ouvrier, Daniel Blake. Ce menuisier expérimenté est face à une injustice. Ses problèmes cardiaques ont conduit son médecin à lui interdire de travailler alors qu'il a perdu sa pension d'invalidité. Lors de ses démarches pour recouvrer ses droits, il rencontre Katie, mère célibataire de deux enfants, elle aussi mise hors système après un retard succinct à un entretien. Ces deux écorchés de la vie s'entraident, sans assurance de pouvoir maintenir totalement la tête hors de l'eau. Dans la veine de « Raining Stones » ou de « My Name Is Joe », autour d'un scénario de Paul Laverty, Ken Loach confronte l'absurdité d'un système au quotidien de figures des classes populaires. Cette charge virulente contre la privatisation des services publics montre que Loach n'a rien perdu de sa verve dans un cinéma dont la mise en scène simple et limpide nourrit la force du témoignage.

Moi, Daniel Blake, De Ken Loach, Grande-Bretagne, 1 H 40.

 

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26 février 2016 5 26 /02 /février /2016 21:35
Merci patron !, de François Ruffin. France, 1 h 30. Le journaliste François Ruffin a piégé la première fortune de France, avec la complicité et au profit d’un couple de chômeurs. Sa comédie documentaire, qui replace l’imagination au cœur des luttes sociales, est sorti mercredi dans une cinquantaine de salles.

Merci patron !, de François Ruffin. France, 1 h 30. Le journaliste François Ruffin a piégé la première fortune de France, avec la complicité et au profit d’un couple de chômeurs. Sa comédie documentaire, qui replace l’imagination au cœur des luttes sociales, est sorti mercredi dans une cinquantaine de salles.

Maud Vergnol - Mercredi, 24 Février, 2016 - L'Humanité

 

Le contraste est obscène. Bernard Arnault, prédateur de grand luxe, première fortune de France, dont le patrimoine professionnel représente 3,5 milliards d’années de Smic, se pavane à l’assemblée générale des actionnaires de LVMH, où le champagne Dom Pérignon coule à flots. À deux cents kilomètres de là, à Poix-du-Nord, entre Valenciennes et Maubeuge, Serge et Jocelyne Klur survivent avec le RSA depuis que leur usine, qui confectionnait des vêtements Kenzo, a été délocalisée en Pologne. « Comment vous faites pour manger avec 3 euros par jour ? » leur demande François Ruffin… « Ben, on mange pas ! » Les premières minutes, cette comédie documentaire, qui emprunte autant aux méthodes de Michael Moore qu’au comique de Lafesse, peut déconcerter. Débarquer dans cette ville dévastée par le chômage affublé d’un tee-shirt « I love Arnault » en se faisant passer pour un fan du milliardaire déterminé à redorer le blason de la première fortune de France face à ceux qui ont tout perdu… il fallait oser. Mais François Ruffin, Calaisien de naissance qui vit en Picardie et enquête sur le milliardaire depuis plusieurs années pour le journal Fakir, sait où il met les pieds.

Une caméra planquée dans une peluche, le stratagème fonctionne

Ce n’est pas un hasard s’il a choisi Poix-du-Nord pour lancer « le combat des Pieds nickelés contre le Goliath du luxe ». En 2007 déjà, pour l’émission de Daniel Mermet Là-bas si j’y suis, le journaliste avait suivi la lutte des salariés d’Ecce contre la fermeture de l’usine, dernier site de fabrication en France de prêt-à-porter masculin et sous traitant de LVMH. Il suggère alors à Marie-Hélène Bourlard, déléguée syndicale CGT, d’acheter une action du groupe pour intervenir à l’assemblée générale des actionnaires. Dorénavant, les nantis du luxe la surnomment « le diable rouge »… C’est par son entremise que François Ruffin fait la rencontre de la famille Klur. Au chômage depuis la fermeture de l’usine, criblés de dettes, Serge et Jocelyne ne peuvent plus se chauffer, ont fêté Noël « avec une tartine de fromage blanc » et risquent de se faire saisir la maison qu’ils ont passé leur vie à construire. C’est dans le salon des Klur que la comédie sociale devient du cinéma d’action directe.

Grillé chez LVMH, où il ne peut plus mettre un pied, François Ruffin choisit la farce, en se faisant passer pour le fils de la famille. Comment arnaquer un arnaqueur ? L’idée est de menacer d’alerter la presse sur la situation des Klur pour exiger du premier groupe de luxe au monde un dédommagement « en toute discrétion ». Avec trois bricoles, une caméra planquée dans une peluche, le stratagème fonctionne. Les Klur voient débarquer chez eux le « monsieur travail sale » de LVMH, un ex-commissaire des renseignements généraux que seule effraie la CGT… Il négocie leur silence en simulant l’empathie démago. Face à son mépris de classe, Serge et Jocelyne se jouent de lui avec une délectation qui transperce l’écran. Où l’on apprend que ce n’est pas si dur de faire cracher Bernard Arnault au bassinet ! Habituée à plumer les salariés, la plus grande fortune de France devient le dindon de la farce. Cynisme, indécence, barbouzeries… lui qui dépense des milliards pour soigner son image en prend un sacré coup. Contacté par l’Humanité, le groupe LVMH nous a assuré qu’il ne commenterait pas le contenu du film, comme il ne comptait pas avoir recours à un référé, tout occupé qu’il est à « des tâches plus nobles », comme « administrer » 120 000 salariés à travers le monde… Mais François Ruffin s’est déjà vu annuler une invitation d’Europe 1, propriété de Lagardère, avant que celle-ci ne se ravise…[Voir ci-dessous. Ndlr].

Certes, la personnalité du journaliste peut agacer. Comme cette manie, un peu mégalo, de se filmer dans sa vie privée en Robin des bois contemporain devant ses propres enfants.

Reste que Merci patron ! est une formidable comédie documentaire, un ch’ti remontant qui redonne la force de se battre, replace l’imagination au cœur des luttes sociales.

Une fable façon La Fontaine qui pourrait se terminer ainsi : « On est plus fort qu’ils ne le pensent et ils sont plus fragiles qu’on ne le croit ! »

 

 

Merci patron ! Un cinéma d’action directe !
François Ruffin étrille Arnaud Lagardère sur Europe 1 et quitte brusquement le studio !

 

L'auteur du documentaire "Merci patron !" était récemment l'invité de la station du groupe Lagardère après avoir été une première fois décommandé par la direction.

Intervention kamikaze dans "Europe Midi". En effet Jean-Michel Aphatie et Maxime Switek ont reçu François Ruffin, le réalisateur de "Merci patron !". Le journaliste, fondateur et directeur du journal satirique "Fakir", engagé à gauche, devait au départ être reçu hier sur Europe 1 par Frédéric Taddéi. Mais cette invitation avait finalement été annulée par la direction d'Europe 1.

La station de la rue François Ier avait à l'époque justifié sa décision par la nature "polémique" de son documentaire consacré à Bernard Arnault. Selon elle, la venue de François Ruffin nécessitait la présence d'un contradicteur et l'organisation d'un véritable débat. La station avait donc décidé de convier le journaliste dans "Europe Midi" aujourd'hui. Mal lui en a pris.... François Ruffin a en effet profité de cette tribune pour attaquer pendant plusieurs minutes le patron de la radio, Arnaud Lagardère, sur sa propre antenne.

 

"Je tiens vraiment à le remercier pour la censure qu'il a exercée"

Le journaliste a commencé par sortir un maroilles à lui offrir pour le remercier du "plan com'" qu'Arnaud Lagardère lui avait assuré. "En interdisant à Frédéric Taddéi de me recevoir, il a suscité un grand élan de sympathie. Je tiens vraiment à le remercier pour la censure qu'il a exercée", a lancé François Ruffin à l'antenne. "Ces remerciements lui iront droit au coeur", a préféré ironiser Jean-Michel Aphatie qui menait l'interview.

François Ruffin a ensuite évoqué "l'oligarchie" contre laquelle il dit vouloir lutter et qui englobe selon lui aussi bien Bernard Arnault, sujet de son film, qu'Arnaud Lagardère, propriétaire d'Europe 1. "On parle de votre documentaire ou pas ?", a fini par s'agacer Jean-Michel Aphatie. "On n'est pas obligé. On va parler de votre patron", a rétorqué l'invité.

Prochaines diffusions du film « Merci patron ! »

au cinéma Le Rio 178 rue Sous les Vignes

63100 Clermont-Ferrand

 

  • Dimanche à 21 h

 

  • Lundi à 16 h 45

 

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22 février 2016 1 22 /02 /février /2016 22:28
Les enfants de la mer !
Jean Ortiz - Mercredi, 20 Janvier, 2016

 

A propos de l’ouvrage « L’Espagne, passion française (1936-1975). Guerres, exils, solidarité ». Editions Les Arènes, Paris, 2015. 256 p.

« Et quand viendra le jour du dernier voyage,
quand partira la nef qui jamais ne revient,
vous me verrez à bord, et mon maigre bagage,
quasiment nu, comme les enfants de la mer »
Antonio Machado (Vers gravés sur sa tombe, à Collioure)
 
Il y a des livres qui tombent tellement à point que l’on pourrait soupçonner leurs auteurs d’avoir voulu « faire un coup ». Les deux auteures (modestement éminentes) ne sont pas de cette crèmerie-là. Geneviève Dreyfus-Armand et Odette Martinez-Maler viennent d’enfanter une « joya », un petit bijou, sur la Guerre d’Espagne, l’exil, l’anti-franquisme...
Ce livre restera comme un livre -en réalité un album- de référence. Les deux historiennes ne versent à aucun moment dans le « révisionnisme » si à la mode. Elles font preuve d’une hauteur de vue, d’une rigueur, d’une honnêteté qu’il convient de souligner ; d’autant plus en ces temps aux relents de nouvelle « guerre froide », d’essor de la pensée « néocon », de floraison de stéréotypes, de visions partielles et partiales, de prismes déformants, de criminalisation fréquente de tout un pan de l’antifascisme...
 
Il est temps que nous assumions (source de richesse), nous « enfants de la légitimité », qu’il y a plusieurs mémoires antifascistes de la Guerre d’Espagne : anarchiste, communiste, poumiste, socialiste, azañiste... etc., toutes respectables, légitimes, singulières. Elles méritent non que « l’on se rejoue en permanence la Guerre d’Espagne », que l’on ressasse les mêmes lieux communs stériles et stigmatisants, mais au contraire que l’on étudie ces histoires et ces mémoires dans leur contexte, dans leurs origines et compositions sociales, leurs apports, leurs spécificités, leurs stratégies, leurs affrontements, leur combat commun... Et que l’on sorte enfin des effets -anti-historiques- de balancier version « guerre idéologique » : « on a perdu la guerre parce que les communistes...» ; d’autres fois « les anarchistes »... Il est facile et politicien de projeter rétrospectivement des concepts et des schémas sur les réalités de telle ou telle époque.
 
Geneviève Dreyfus-Armand et Odette Martinez-Maler ne tombent à aucun moment dans un manichéisme néfaste et clivant.
L’affrontement principal opposait en Espagne 36 le fascisme (bien aidé par les faussement « non-interventionnistes ») à la démocratie (aux différents courants : « bourgeois », républicain, social, révolutionnaire...), prélude à la Deuxième Guerre mondiale. Cette dernière commence en réalité en Espagne. Tel est le vrai fil continué de cette histoire partagée, transfrontalière, surtout dans le Grand Sud-Ouest, où « les guitares de l’exil », mon vieux Léo, « sonnaient parfois comme un clairon ».
L’accueil sous le statut d’ « indésirables », dans des conditions inhumaines, infâmes, de 475.000 réfugiés espagnols, reste le grand traumatisme de la mémoire républicaine. Trahison, exclusion, internement, mépris, humiliation, pour ces premiers combattants antifascistes exilés. Nous, les fils, les petits-fils (filles), nous portons encore ces traumatismes, ces fractures, ces colères... Et lorsque nous sommes confrontés aux problèmes migratoires d’aujourd’hui, nous nous demandons si certains ont vraiment tiré les leçons de l’histoire. Dans l’affrontement entre les courants humanistes, solidaires, généreux, issus des Lumières, de la Révolution française, et les courants xénophobes, de rejet, de haine, de peur de l’autre, se joue, aujourd’hui comme hier, le visage et l’avenir de la France. Hier comme aujourd’hui, dénoncer « l’autre », hier le communiste, le juif, le « rouge » espagnol, aujourd’hui l’« l’étranger », comme responsable de la crise, conduit au pire...
 
Les Républicains et antifascistes espagnols ont été longtemps exclus de la mémoire historique, en France comme en Espagne. En nous réappropriant peu à peu cette histoire, à travers de nombreuses associations, amicales, nous avons engagé un combat décisif. Les deux auteures d’Espagne, passion française, portent sur l’exil des analyses justes, équilibrées. L’album nous offre une quantité sans précédent de documents inédits, de témoignages, de textes, d’analyses, de photos remarquables, et une iconographie flamboyante. Le tout dans une présentation claire, une édition soignée et un grand souci didactique. Un ouvrage salutaire dans le moment dangereux et décisif que nous vivons.
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