L’avenir d’une espérance
C’est avec un mélange d’étonnement, de stupéfaction puis finalement, de franche hilarité que nous avons découvert dans l’édition du 19 octobre 2015 de La Montagne un article intitulé « Le communisme est mort ». Tôt ce matin, nous avons pris la décision de le faire circuler aussi largement que possible : il faut bien que l’audace paye, nous sommes nous dits. Nous tenons donc ici à féliciter chaleureusement le quotidien régional pour ce choix inattendu et (nous l’espérons du moins) pionnier ! Quelle belle idée que de proposer, désormais quelques poissons d’avril potaches pour égayer les tristes jours de l’automne !
Dans cette histoire, tout a été pensé avec le goût qui sied au calembour bien senti. La photographie donne le ton : plein centre, un citoyen russe clame, en décembre 2014, son amour pour Staline – de ce point de vue, nous suggérons à la rédaction, pour le prochain dossier, des associations tout aussi pertinentes : « La philosophie française est morte », avec un citoyen brandissant, éploré, une photo de Bernard-Henri Lévy ou de Michel Onfray ; ou encore, « Le souci de la rigueur journalistique est mort », avec un Auvergnat en larmes brandissant le numéro du 19 octobre 2015 de La Montagne...
Au cœur du propos : l’interview de Dominique Wolton, « essayiste ».
Tiens, donc, nous sommes nous dits ! Dominique Wolton ?
Le directeur de recherche au CNRS ?
Celui qui écrit de temps à autre pour le journal communiste L’Humanité ?
Étonnant, non ?
Rassurez-vous : nouvelle facétie du journal ! Tapez sur le moteur de recherche de votre choix le nom du livre prometteur que présente l’interviewé (Une histoire mondiale du communisme), et vous découvrirez qu’il y a usurpation d’identité, puisqu’il s’agit en réalité de Thierry Wolton. Essayiste ? Non, journaliste (au Point notamment) dont la pertinence des analyses historiques procède depuis longtemps de la légende.
C’est lui, rappelez-vous, qui, dans les années 1990, avait cru pouvoir démontrer que Jean Moulin avait été, à la veille du second conflit mondial, rien moins qu’un informateur au service d’espions soviétiques. Pareille analyse a le don de vous situer « l’analyste » qui la commet.
Au sein de l’Université, on a coutume, depuis, de former les étudiants en reprenant cette affirmation folle, procédant d’une démarche dénuée de tout recul critique. L’historien Pierre-Vidal Naquet, auteur d’un immense travail sur les Assassins de la mémoire avait alors identifié toute la charge politique qu’impliquaient de telles insinuations. Nous rappelons ici ses conclusions, quoique disponibles sur la page Wikipedia du sinistre Wolton, il ne nous en a guère coûté d’efforts pour nous les procurer : qualifiant à juste titre Wolton de « falsificateur » participant du courant révisionniste, Vidal-Naquet concluait que son ouvrage, loin d’être le fruit d’un auteur momentanément égaré, ne poursuivait d’autre but que de réhabiliter, in fine, le régime de Vichy…
C’est donc à Wolton et à la rigueur reconnue de ses analyses que La Montagne a cru devoir accorder une pleine page – sans informer des états de faits du charlatan. Et une fois encore, l’auteur ne déçoit pas. Superbe de constance, il se prend magnifiquement les pieds dans le tapis. Nous savons reconnaître le talent lorsque nous le lisons. Il faut savoir rendre à César. Et ce César-là, comment dire… semble frappé d’une pathologie haineuse aiguë et de troubles obsessionnels compulsifs. « Déshérence idéologique », « échec total », la « chose la plus négative qui soit arrivée à l’humanité »… Voilà pour l’analyse du « communisme au pouvoir ». Communistes français (aimablement présentés, sans mépris aucun, d’un distingué « ces gens-là ») appartenant à la « queue de la comète » de combats du XIXe siècle, jadis menés contre un capitalisme qualifié de « meurtrier » et « d’inhumain »…
On comprendra donc, rassurés, que le capitalisme d’aujourd’hui est nettement moins déshumanisant et criminel que celui de naguère. Concluant sur les communistes (appelons-les ces attardés), Wolton déclare, logique avec lui-même, qu’ils mènent un « combat d’arrière-garde ».
Mais oui, enfin !
C’est chose bien connue, et l’auteur le répète assez à qui veut l’entendre pour que ce soit un tout petit peu vrai : « le communisme est mort » ! [Nos lecteurs les plus anciens se souviennent sans doute d'un article que nous avions publié après une déclaration de F. Hollande au Royaume Uni du même style et qui avait permis à notre ami Michel de nous répondre "Ne t'inquiètes pas, tu es vivant, je t'ai vu à la boulangerie ce matin, Ndlr]
C’est l’histoire pathétique de l’ivrogne qui assure n’avoir aucun problème avec la bouteille, mais dénonce volontiers son voisin, qui lui, lèverait un peu trop facilement le coude. Wolton est ivre. Ivre de pensée réactionnaire, fruit sans doute d’un traumatisme violent, d’une commotion anti-communiste comme elles se font rares, désormais.
À ce point de notre analyse, pris d’une certaine empathie avec l’auteur, nous avons donc commencé à le plaindre : qu’il doit être pénible pour lui de radoter ces vieilles rengaines. Toujours les mêmes, depuis vingt-cinq ans…
Qu’il doit être dur de qualifier d’hommes du passé ces individus dont il assure à qui veut l’entendre depuis plusieurs décennies qu’ils sont morts, perdus, disparus, criminels, fous, insensés, etc. et qui ne veulent pas disparaître pour autant du monde réel.
Qu’il doit être dur d’être le rédempteur incompris d’une humanité autrefois mystifiée par le mensonge et l’erreur.
Qu’il doit être dur de porter tant de haine en soi !
Quant à nous, si cela vous intéresse, sachez que tout va bien. Bien sûr, nous avons été un peu déçu de voir surgir une feuille pareille à deux mois d’élections décisives pour l’avenir de millions de nos concitoyens. Persuadés néanmoins que nous aurons un droit de réponse d’une longueur équivalente, et persuadés aussi qu’un important travail d’investigation sera mené par le journal sur le thème des « falsificateurs » (dont le candidat Les Républicains en Auvergne-Rhône-Alpes pourrait offrir, cela dit en passant, un beau spécimen d’étude), nous tenons pour l’heure à vous faire savoir que nous regardons avec détermination et tranquillité, toutes manches retroussées, la route qui s’ouvre devant nous. Celle de l’avenir. Nous espérons que vous nous le pardonnerez. Nous avons mené un important travail d’autocritique durant les années 1990-2000. Nous avons disséqué, analysé, et plutôt deux fois qu’une, nos erreurs d’appréciations,
nos égarements du passé. Mais il n’y a pas eu alors beaucoup de médias pour le relayer. Ce faisant, nous avons aussi su identifier, dans ce passé réputé maudit, ce que le « communisme au pouvoir » a apporté de bon à la France, du Front populaire à la Résistance, en passant par la Sécurité sociale et les politiques d’accès pour tous à la culture ou à l’éducation, notamment dans les communes communistes. Mais cela non plus, il n’y a pas eu beaucoup de médias pour le relayer. Lucides et sans concession avec nous-mêmes, nous sommes donc repartis de l’avant, conquérants, en engageant un travail de fond sur les formes à donner à un nouveau projet communiste, adapté au XXIe siècle.
Ce projet nouveau aussi ne semble pas toujours pouvoir accéder aux colonnes des journaux. Mais qu’importe, après tout. Qu’il nous soit permis de voir dans l’écriture d’une Histoire mondiale du communisme, intervenant à la suite d’innombrables autres publications aussi faussement rigoureuses, aussi ouvertement haineuses (voir le célèbre Livre noir du communisme), la meilleure preuve que le communisme n’est peut-être pas tout à fait mort. Qu’il nous soit permis de penser que si, de l’autre côté de la barricade, on s’échine encore à dire tant de mal, avec tant de fougue, d’un monstre réputé mort depuis vingt ans, c’est que le communisme reste, aujourd’hui encore, finalement, le chemin le plus évident pour penser l’émancipation humaine.
Que les zélateurs des idées réactionnaires publient leurs idées, leurs principes, déversent éventuellement leur fiel sur le monde, ne nous étonne guère. Partisans d’un régime démocratique et ne jetant pas a priori la pierre à celui qui pense différemment de nous, nous l’acceptons parfaitement. Plus problématique, en revanche, nous paraît la démarche qui consiste à les faire passer dans les colonnes de notre cher journal pour autant de rigoureuses analyses produites par un « expert » de la question. Là, il y a tromperie sur la marchandise, sur le fond comme sur la forme. Qui mieux que vous, pourtant, connaît les horizons nouveaux du communisme, vous dont le journal couvre par exemple un département tel que le Puy-de-Dôme, lequel a vu ces quinze dernières années une circonscription et plusieurs municipalités (et non des moindres), faire l’expérience politique audacieuse du communisme. Choix réitérés ensuite par leurs habitants avec un enthousiasme étonnant.
Autant d’expériences sans goulags ni meurtres de masse. Sans famines ni échec, mais avec l’envie et le goût commun du partage, avec la passion toujours aussi révolutionnaire de faire vivre pleinement la liberté, l’égalité et la fraternité.
Avec l’espoir chevillé au corps d’un avenir meilleur.
Sauf à traiter ces gens de fous, permettez-nous de vous faire remarquer qu’il serait peut-être temps de présenter le communisme moins comme le passé d’une illusion que comme l’avenir d’une espérance.