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11 juin 2015 4 11 /06 /juin /2015 16:37
Il y a dix ans, près de 8 000 personnes se sont mobilisées à Guéret pour défendre les services publics. Photo : Derrick Ceyrac/AFP

Il y a dix ans, près de 8 000 personnes se sont mobilisées à Guéret pour défendre les services publics. Photo : Derrick Ceyrac/AFP

Entretiens croisés réalisés par Sébastien Crépel, César Prieto et Adrien Rouchaleou
Lundi, 8 Juin, 2015 - L'Humanité
 
Samedi et dimanche prochains, syndicats, partis, collectifs citoyens convergeront à Guéret (Creuse) pour manifester et débattre afin de reconquérir les services publics. Entretien avec trois responsables de gauche.

 

La gauche ne devrait-elle pas mener la bataille idéologique pour montrer que le service public est un outil de socialisation des richesses et de leur redistribution, et non une dépense ou un coût ?

Sandrine Rousseau. La notion de service public est une notion centrale pour la gauche, elle doit le rester : il est plus que jamais nécessaire d’organiser la solidarité au sein de la société de telle sorte qu’aucune partie de cette dernière ne soit laissée dans la misère. Le service public définit ce qui fait société : si l’on estime que tel ou tel bien fait société, alors il doit être partagé entre tous les membres de la société de manière égale. C’est un principe qu’on doit continuer de revendiquer comme un motif de fierté et un fondement de la civilisation.

 

Isabelle Mathurin. L'impératif de réduction de la dette bloque toutes les discussions. Nous pensons plutôt qu'il faut partir des besoins des populations. Si on y regarde de plus près, le service public est profitable au développement social et écologique que nous souhaitons. Les besoins sont démocratiquement exprimés, c'est de là qu'il faut partir pour permettre l'égalité d'accès au service public sur tout le territoire, ce qui est loin d'être le cas aujourd'hui. D'ailleurs, au point de départ de l'initiative de Guéret, il y a la réaction à la suppression de services publics de proximité : Poste, hôpitaux, gares SNCF... A rebours de cette tendance, nous pensons que les services publics sont un bien pour l'économie et qu'ils peuvent permettre le développement de l'industrie sur tout le territoire, tout en favorisant l'écologie.

 

Pierre Larrouturou. Nous savons tous ce que nous devons à l’hôpital, à l’école et aux autres services publics. Nous sommes des millions à être profondément attachés à la qualité de ces services, qui sont une des poutres maîtresses du modèle social français. Cela ne signifie pas qu’aucune réforme n’est nécessaire : pour permettre un meilleur accès sur tout le territoire, peut être faut-il regrouper certains services publics en un même lieu et favoriser la polyvalence des agents. Mais contrairement à ce que disent certains, les fonctionnaires ne sont pas hostiles au changement : combien de pays permettent les déclarations d’impôt par Internet ? La plupart des fonctionnaires ne sont pas du tout hostiles au changement. Ils sont hostiles à la casse des services publics que cache souvent le mot réforme. Et ils ont raison.       

 

La gauche peut-elle reprendre l’offensive d’un mouvement prônant le développement, la démocratisation et l’extension des services publics plutôt que leur réduction ?

Isabelle Mathurin. On voit bien dans le monde, notamment avec des traités comme Tafta, que la tendance est inverse : il y a une volonté de marchandiser les services. Avec la réforme territoriale, les citoyens, les usagers ont de moins en moins de possibilités d'avoir accès aux institutions dans lesquels ils peuvent faire entendre leurs souhaits et besoins. L'esprit du rassemblement de Guéret, c'est exactement le contraire. Il va lancer tout un travail avec les associations, les syndicats, les organisations politiques, pour un nouveau service public, pour préserver et renforcer ce qui relève du bien commun. Aujourd'hui, on pense souvent à y intégrer l'eau, mais il y a plein de domaines à conquérir. Par exemple, faire du logement un droit effectif. Il y a beaucoup d'espaces à mettre en propriété sociale.

 

Pierre Larrouturou. De nombreuses mairies ont déjà remunicipalisé leur service des eaux car elles constataient que le public peut, évidemment, être aussi efficace que le privé. En règle générale, la crise de 2008 devrait rendre plus modestes tous ceux qui vantent toujours et partout les mérites du tout-privé et de la dérégulation. Au lieu de répéter des idées fausses, ceux qui se disent socialistes devraient s’atteler à prouver, au contraire, que le service public est un moyen moderne et efficace d’agir pour le bien commun. Dans une société de plus en plus violente, précaire et court-termiste, comment lutter contre l’échec scolaire et donner l’envie et les moyens aux enfants et aux adolescents de se former ? Comment éviter la fuite des cerveaux que provoque l’austérité imposée au CNRS ? Comment garantir une bonne qualité d’accès en milieu rural alors qu’on régresse dans ce domaine depuis des années ? Comment améliorer le lien entre les services publics et les citoyens ? Voilà les vraies questions. Des questions fondamentales pour notre vivre ensemble.

 

Sandrine Rousseau. Un service public, on ne lui demande pas d’abord d’être rentable, et il n’est pas vrai d’affirmer que la concurrence et le privé sont plus rentables que le public. Les télécoms sont un exemple flagrant : depuis que les renseignements téléphoniques ont été libéralisés, plusieurs sociétés se livrent à une concurrence effrénée. Peut-on dire que le service s’est amélioré ? Non, en revanche, les coûts de publicité et de marketing du fait de la concurrence ont été facturés aux clients. Autre exemple avec la téléphonie mobile : chaque opérateur développe sa propre antenne-relais. Moralité : les antennes se multiplient sur les immeubles, au prix de la multiplication des coûts et des effets néfastes des ondes sur la santé. Et in fine, les entreprises finissent par s’entendre sur les prix parce qu’elles ne peuvent supporter une trop forte dose de concurrence !

 

La lutte pour la notion de service public peut-elle être le ciment et le fondement d’un nouveau projet de gauche sur lequel toutes les forces antilibérales pourraient se retrouver par-delà leurs divergences actuelles ?

Pierre Larrouturou. C’est un élément très important en effet. Et qui dépasse sans doute la « gauche ». Certes, les dirigeants UMP semblent favorables aux privatisations et à la régression des services publics, mais on peut penser qu’une majorité de citoyens est attachée aux services publics. A nous d’expliquer qu’il ne s’agit pas d’un luxe auquel on doit renoncer mais d’un investissement fondamental pour le vivre-ensemble et l’avenir de notre société. C’est un point fondamental ; comme sont aussi fondamentales la question de la lutte contre le chômage et la précarité, la question du logement, du climat ou de l’Europe.

 

Sandrine Rousseau. Il faut mener une réflexion en profondeur sur ce qui fait société aujourd’hui. Le débat à mener doit permettre de déterminer les biens communs indispensables à partager. Cela demande une réflexion sur plusieurs rendez-vous, car cela ne peut se décréter de manière simple. Chez EELV, nous ne sommes pas pour des services publics gravés dans le marbre, il faut que le débat citoyen s’en mêle. Par exemple - ce sera peut-être une divergence entre nous - le service public de l’énergie doit être profondément modifié. On ne peut pas maintenir un monopole qui interdit ceux qui disposent de panneaux photovoltaïques de produire leur propre électricité. En revanche, l’eau, que l’on a très souvent confiée à des sociétés privées, doit être considérée comme un bien fondamental et sa gestion doit être publique pour garantir la santé des citoyens.

 

Isabelle Mathurin. Les services doivent être au cœur du projet de la gauche, car ils sont au cœur du développement social et écologique que nous préconisons. Il est évidemment possible de rassembler sur un tel projet, parce qu'il passe avant tout par une exigence de démocratisation du service public. Les signataires de l'appel de Guéret sont d'ailleurs très divers en plus d'être nombreux : collectivités, élus, syndicats, partis... Un rassemblement se crée autour de mesures d'urgence pour les services publics. Nous provoquons un débat démocratique auquel le gouvernement se refuse.

 

Au menu de la manif nationale de Guéret. À l’occasion de leur dixième anniversaire, les collectifs de défense des services publics se sont donné rendez-vous les 13 et 14 juin à Guéret dans la Creuse pour une nouvelle manifestation nationale en faveur des services publics prévue à 15 heures samedi. Il y a dix ans, près de 8 000 personnes s’y étaient déjà retrouvées, sous la neige. François Hollande, tenant du oui lors du référendum sur la constitution européenne, avait d’ailleurs été visé par des boules de neige. Pendant ces deux jours, un « village des services publics » sera installé, avec des débats quasi ininterrompus. Au menu : l’accord de libre échange Tafta, l’accès aux soins, la réforme territoriale. Un rassemblement qui se traduira par le lancement d’assises nationales et un nouveau manifeste du XXIe siècle

« Le service public définit ce qui fait société ! »
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