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14 novembre 2014 5 14 /11 /novembre /2014 20:48

Entretiens croisés  entre Jean-Christophe Le Duigou, économiste et syndicaliste et Denis Ferrand, directeur général de COE-Rexecode.

 

Au regard des résultats obtenus par la politique de réduction des dépenses publiques, l’austérité est-elle efficace pour écarter le risque récessif ?

 

Jean-Christophe Le Duigou : À l’évidence, l’austérité n’est pas la solution. C’est pourquoi le président de la République, qui ne peut pas s’appuyer sur des résultats, demande, discours après discours, qu’on le juge plus tard. Sauf que cela risque d’être trop tard. La France a encore perdu 10 % de ses capacités industrielles ces cinq dernières années. De grands groupes comme des entreprises de taille intermédiaire sont menacés. Les 40 milliards d’aides aux entreprises que le gouvernement finance par une amputation équivalente des dépenses publiques et sociales ne peuvent tenir lieu de politique industrielle. L’austérité ne résout pas les problèmes pour une raison toute simple : ce n’est pas l’excès de dépenses qui a provoqué les déficits et l’endettement mais la moindre croissance de la richesse produite qui a limité les recettes publiques et sociales. La politique d’austérité budgétaire nous coûte entre 0,5 % et 1 % de croissance par an. Même si les taux d’intérêt sont plus faibles qu’il y a quelques années, comme le taux de croissance est encore plus bas, la finance continue à mordre sur l’économie réelle. La dette continuera de croître. Seules les institutions financières qui prêtent de l’argent à l’État y trouveront leur compte.

 

Denis Ferrand : Il n’existe pas une métrique économique précise au concept d’austérité. Celui-ci relève plus de la communication politique qu’il ne consiste en un objet mesurable à partir de critères scientifiques communément admis. La sémantique autour de l’évolution de la dépense publique est symptomatique de cette imprécision : là où il est évoqué une baisse de la dépense publique, c’est en réalité un ralentissement de sa hausse qui est anticipé dans les projets de budget pour les trois prochaines années en France. Aucun recul en montants absolus de l’intervention de la puissance publique n’est anticipé d’ici à 2017. Au-delà des querelles sémantiques, c’est le bien-fondé du ralentissement de cette hausse qui est en question. À court terme, une baisse (en niveau absolu) de la dépense publique exerce un impact récessif sur l’évolution de l’économie. Cette observation très macroéconomique doit toutefois être replacée dans le contexte général dans lequel cette baisse s’opère. Si elle s’accompagne d’une réduction d’impôt d’un montant comparable, c’est l’impact de ces mesures combinées qui doit être examiné et cet impact sera très dépendant des modes opératoires des mesures. C’est en fait l’ensemble de l’effort dit « structurel » des finances publiques qui doit être analysé et non le seul versant des dépenses. Sur ce plan, la Commission européenne retient que la réduction du déficit structurel sera de faible ampleur en France (0,1 point de PIB en 2015, après – 0,3 point en 2014). Dans l’ensemble de la zone euro, l’effort structurel serait nul en 2014-2015, après avoir représenté plus d’un point de PIB en moyenne sur les trois exercices 2011-2012-2013. Difficile, dans ces conditions, de parler d’une austérité en cours. À plus long terme, l’évolution de la dépense publique dépend de l’équilibre général des finances publiques : la permanence depuis plus de quarante ans d’une situation déséquilibrée des comptes publics reflète de fait l’absence d’une maîtrise de cette dépense. À terme, et alors que le vieillissement de la population aura pour conséquence une augmentation de dépenses principalement assurées jusqu’à présent par une intervention publique ou mutualisée, c’est l’absence de cette maîtrise qui menace de nous priver de la capacité à faire des choix. La dépense publique n’est en fait pas autre chose que la résultante de choix politiques et sociétaux d’intervention de la puissance publique.

L’austérité est-elle la voie obligée de toute politique économique ?

Existe-t-il une politique économique alternative à l’austérité ?

 

Denis Ferrand : C’est le choix d’une croissance renouvelée qui est à effectuer aujourd’hui. Une croissance qui se doit d’être inclusive et qui passe par la compréhension des mutations fondamentales auxquelles nous sommes confrontés : transformation des modèles économiques antérieurs associée au numérique, enjeu de la transition énergétique, nouvelles émergences… Autant d’enjeux qui passent par des efforts d’investissement et une capacité à faire des choix.

 

Jean-Christophe Le Duigou : Au lieu de culpabiliser les salariés, les chômeurs, les allocataires, cette crise structurelle devrait être l’occasion de réexaminer la politique économique suivie. François Hollande a clamé haut et fort, en 2012, qu’« il n’avait qu’un ennemi : la finance ». Mais il n’amorce pas la moindre critique des orientations mises en œuvre. Pis, le patronat se félicite de l’intervention de l’État pour secourir le capital en perdition et revendique de pouvoir continuer comme avant à faire ce qu’il entend de ses profits ! « L’appel à la responsabilité » adressé aux entreprises ne suffira donc pas. Injecter des liquidités comme le fait la Banque centrale européenne non plus ! Le débat économique doit sortir de l’ornière. On ne peut pas en rester à l’opposition entre « politique de l’offre » ou « politique de la demande ». La crise actuelle met en exergue le besoin d’une nouvelle stratégie de développement social et économique qui suppose que l’on s’interroge sur l’organisation du financement de l’économie. C’est tout un mode de croissance qu’il faut mettre en cause en donnant une place nouvelle au travail, à l’environnement et aux activités productives. Le « retour au réel » passe par la reconnaissance de ces trois priorités. C’est dans cette direction, et non dans l’austérité généralisée, qu’il peut y avoir une solution à la crise de la dette.

 

 

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