Le Front national a beau tenter, sous l’impulsion de Marine Le Pen, de détourner à son profit le malaise social en se proclamant contre l’austérité, l’analyse des décisions budgétaires locales de ses élus prouve le peu de cas qu’ils font des « oubliés » placés malgré eux sous leur administration.
Premières victimes des mairies frontistes ou du Rassemblement bleu Marine : les centres sociaux. Maire du 7e secteur de Marseille, le frontiste Stéphane Ravier a fait voter dès juin l’arrêt des subventions au centre social. Tout comme à Fréjus (Var), où le sénateur maire David Rachline a coupé celles du « centre socialiste » du quartier populaire de la Villeneuve, qu’il accusait sur Twitter de « détournement d’argent public ». Celui de la Gabelle, seul accès public à l’informatique pour les démarches administratives, la recherche d’emploi, etc., a vu la sienne gravement amputée. Même politique à l’œuvre à Béziers, où le maire, Robert Ménard, revendique le soutien du FN. Le parti l’a inclus dans son document « Communes Front national, promesses tenues… Ce que les médias ne vous diront pas ». Ici, la réduction du budget des centres sociaux atteint les 20 %, ciblant prioritairement le quartier défavorisé à forte population d’origine immigrée de la Devèze. Mais ces décisions, catastrophiques pour le lien social et la solidarité, ne sont pas les seuls champs d’expérimentation ouverts par l’extrême droite municipale. La gestion locale du tissu associatif participe d’une vision utilitariste développée par l’extrême droite. À la rubrique « lutter contre les gaspillages et les privilèges » (sic), le document « Promesses tenues » du RBM préconise des « réévaluations (des subventions aux associations – NDLR) en fonction du mérite ».
À Beaucaire, le maire, Julien Sanchez, traduisait, en début de mandat : « On ne va pas couper dans les subventions des associations cette année, mais on évaluera pour donner à celles qui méritent l’an prochain. » En attendant, il a voté 2 000 euros d’augmentation à deux associations « méritantes », donc, qui luttent « pour la cause animale », et nommé un « conseiller municipal délégué aux animaux de compagnie »… Une manière de caresser son électorat dans le sens du poil.
D’autres administrés ont moins de chance d’être soutenus par leurs édiles. La mairie frontiste du Pontet (Vaucluse), en quête d’« économies », rogne sur l’aide sociale apportée aux familles qui peinent à payer l’inscription des enfants à la cantine. Depuis septembre, fini les repas subventionnés pour les plus démunis : il faut « responsabiliser les parents d’élèves pour leur montrer que tout n’est pas gratuit ». Une mesure qui ne fera économiser que 30 000 euros à la commune, sur un budget de 50 millions d’euros. Même punition à l’autre bout de la France, à Villers-Cotterêts (Aisne). Franck Briffaut a mis fin à la cantine pour les enfants de chômeurs : « Une personne au RSA peut venir chercher son enfant à l’école car elle ne travaille pas », plaide-t-il… à moins de payer 152 euros de plus par an. Là aussi, la décision ne produira que peu de résultats, avoue le maire, mais il s’agit avant tout de lutter contre « l’assistanat ». Dans son programme présidentiel, Marine Le Pen estimait que les logements sociaux devaient être réservés aux Français, et à la limite, sous conditions, à certains étrangers en situation régulière. Application à la lettre dans le « secteur bleu Marine de Marseille » (dixit le document « Promesses tenues »). Si Stéphane Ravier vote systématiquement, comme la plupart des élus frontistes de France, contre tous les projets de logements sociaux et de rénovation urbaine, c’est qu’il ne veut pas que « l’on déverse des millions d’euros vers ces quartiers en nous faisant croire que cela va changer la nature de celles et ceux qui y habitent ». Voyez-vous, il n’y a « pas beaucoup de Scandinaves dans nos quartiers ».
À l’entendre, Marine Le Pen aurait converti le FN à la lutte contre l’austérité. À y regarder de plus près, le parti s’inscrit dans une logique similaire à celle des gouvernements libéraux ou sociolibéraux. Ainsi, à Beaucaire, le maire a-t-il mis fin à la « surcharge salariale » de 40 000 euros que représentaient… les contractuels de l’été. Et tant pis pour les centres de loisirs. À Mantes-la--Ville, ce sont les contrats jeunes qui ne sont pas reconduits. À Villers-Cotterêts, la municipalité applique le non-remplacement des employés partis à la retraite, et vend des « biens communaux » pour équilibrer son budget. Dans le même temps, les maires de Cogolin et du Luc (Var) ont augmenté leurs indemnités de 15 %. Et si celui du Pontet figure dans le document « Promesses tenues » comme ayant « réduit ses avantages », c’est que le tribunal administratif a refusé l’augmentation de 44 % qu’il s’était octroyée. Au Front national, de « préférence », l’austérité, c’est pour les autres.