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15 mai 2016 7 15 /05 /mai /2016 21:06
Fatah Graphy

Fatah Graphy

En 2012, le candidat Hollande promettait de lutter contre le « délit de faciès ». Puis, plus rien. L’État, condamné en 2015 pour « faute lourde », s’est même pourvu en cassation. Contre les contrôles d’identité abusifs et discriminatoires, le groupe communiste (CRC) au Sénat a déposé une proposition de loi. Le texte, en débat le 18 mai, veut en finir avec le droit de contrôler sans motif ni justificatif. Ces contrôles ont un impact dévastateur sur les personnes qui les subissent, nourrissant un fort sentiment d’injustice et d’humiliation.

Ils vivent avec. Tous les jours. La rengaine « si on n’a rien à se reprocher, on n’a pas de raison d’avoir peur d’être contrôlé » les fait sourire ou les rend amers. Ceux qui l’affirment n’ont jamais été contrôlés ou si peu. Savent-ils seulement ce que ressentent et endurent ceux qui subissent régulièrement des contrôles d’identité sans raison ? Juste parce qu’ils sont jeunes, typés ou qu’ils habitent les quartiers populaires.

Ils vivent avec. Au point de les intégrer dans leur planning, comme l’a conseillé de le faire Mabrouka Hadjadj, de La Courneuve (93), à ses trois garçons, fréquemment contrôlés, parfois fouillés, lorsqu’ils vont en cours par le RER B.

« comme exclus de la communauté nationale »

Ils ont grandi avec : « Je les ai éduqués de façon qu’ils apprennent à vivre avec l’injustice », avoue Malika, d’Orly (94). Mais le gouvernement, que fait-il pour éduquer la police ? » lance cette mère de quatre garçons. « On est contrôlé dès qu’on franchit le périphérique pour aller à Paris. C’est une entrave à la liberté de circuler, une assignation de fait », dénonce Mohammed, militant PC et syndicaliste à Bobigny.

« Dans les quartiers, on est résigné. On baisse la tête. Il faut rien dire, sinon ça peut dégénérer. J’ai fait avec depuis mes 14 ans. J’étais contrôlé quasi une fois par semaine, parfois par des agents qui me connaissaient. Pour rien. On nous dit : “C’est des contrôles de routine.” À la longue, ça a un impact. On se sent exclu de la communauté nationale », témoigne Issa Coulibaly, 36 ans, parisien de Belleville employé dans une association.

Tous ont témoigné lors du colloque organisé le 29 avril par les sénateurs communistes. En prévision du débat, le 18 mai, autour de la proposition de loi « Lutte contre les contrôles d’identité abusifs » qu’ils ont déposée dans le cadre de leur niche parlementaire (lire page 30). 2 283 témoignages ont été recueillis de 2011 à 2015 par le collectif Stop le contrôle au faciès. Réunis dans « Les maux du déni » (1), premier rapport du genre en France, ils font état de « pratiques policières abusives et humiliantes, ainsi que de dysfonctionnements institutionnels qui entretiennent l’impunité et renforcent la résignation chez les victimes ». D’où l’urgence d’agir au moment où les rapports police-citoyens sont au plus mal, que les abus, facilités par la dernière réforme de la procédure pénale, se multiplient au nom de la lutte contre le terrorisme, et avant que ne s’ébranle définitivement la confiance en une République censée protéger.

« On ne peut fermer les yeux sur cette résignation, car l’humiliation, c’est le fonds de commerce de Daech », souligne Nassim Lachelache, de Stop le contrôle au faciès. « On le ressent petit à petit, lorsque les mineurs renoncent à faire valoir leurs droits et que leurs mères, désemparées, confient : “Il laisse tomber… il dit ça sert à rien de témoigner, parce qu’il n’y a pas de justice en France… Il dit qu’il pense à la Syrie.” »

Issa Coulibaly ne s’est plus résigné lorsqu’en 2012, revenant de cours, il a subi son énième contrôle au faciès, gare du Nord. Il a décidé de porter plainte et a déposé une question prioritaire de constitutionnalité, qui devrait être examinée en juin, « sans beaucoup de conviction », confie-t-il. « C’est comme vider la mer avec une cuillère, mais il faut faire sa part pour faire cesser l’impunité. » Ils ne sont pas nombreux, ceux qui osent aller jusqu’à engager des poursuites, découragés par les refus de plainte (73 % des cas) ou par des actions en justice qui n’aboutissent pas. Marcel, 35 ans, a été victime de violences policières à la gare de Châtelet-les-Halles (Paris). Il a engagé des poursuites, pris un avocat : « La juge a refusé de regarder la vidéo où on voit les policiers me tabasser. Elle leur a donné raison. C’est moi qui ai été tabassé, c’est moi qui me suis pris du sursis, et 1 000 euros d’amende ! Je fais quoi maintenant ? Ça sert à quoi tout ça ? »

Les « surcontrôlés » ont des codes de conduite qu’ils se transmettent afin de minimiser les risques de violence de la part des agents, indique le rapport « Les maux du déni ». Ils savent que la demande d’explications ou la contestation sont très risquées et peuvent se retourner contre eux, jusqu’à être accusés d’outrage et de rébellion. Souvent, lorsque la victime proteste, le contrôle au faciès tourne mal. Vannes racistes, humiliations, fouille et palpations, jusqu’à la violence physique ou la menace de violence de la part des agents, révèlent les réclamations recensées par le défenseur des droits.

Ainsi, Stéphane, étudiant à Angers, s’est vu répondre : « Tu crois que tu connais tes droits mieux que nous ? » « J’ai demandé leurs noms, ils ont dit : “Ça fait 10 ans qu’on fait ça ! Notre nom, c’est CRS !” » Ou encore Walid, de Montreuil : « On a dit qu’on connaissait nos droits, car, selon l’article 78.2 du Code de procédure pénale, ils ne pouvaient pas nous contrôler pour rien. Ils ont rétorqué : “On s’en bat les couilles, de l’article, on sait ce qu’on a à faire !” »

51 % des flics votent FN

Ces contrôles et violences touchent essentiellement des personnes perçues comme jeunes ou de « minorités visibles ». Un jeune se fait contrôler 11 fois plus que les autres, un « Arabe » 8 fois plus et un « Noir » 6 fois plus, selon des études et rapports du CNRS, de la Commission nationale consultative des droits de l’hom­me, d’Amnesty… Les insultes ouvertement racistes se sont multipliées. Oualid, technicien à Paris 18e, en a été victime : « Je lui ai demandé s’il me contrôlait à cause de mes origines. Il m’a clairement répondu que oui. Il m’a dit qu’il contrôlait systématiquement les “gens comme moi” parce qu’ils étaient plus disposés aux délits et crimes. Il m’a dit que c’étaient des gens comme moi qui l’empêchaient de dormir le soir. » D’après une enquête du CEVIFOP (2), 51,5 % des policiers et gendarmes ont voté Front national en 2015.

Boom des réclamations

Lors du contrôle qu’il a subi, tout récemment, Régis Amponsah, résident à La Défense à Paris, s’est fait rabrouer ainsi : « On fait notre travail, physiquement comme vous êtes, c’est un peu normal. » Régis est l’un des 13 plaignants dans le procès dans lequel l’État, condamné, s’est pourvu en cassation. « C’est fatigant à la longue. La proposition de loi des sénateurs communistes doit être votée pour nous sortir de là. »

De 2010 à 2015, le nombre de réclamations devant le défenseur des droits est passé de 185 à 910. Un recours au droit plus fréquent, qui résulte sans doute de l’impact des campagnes de sensibilisation menées ces dernières années. Par le collectif Stop au contrôle au faciès et sa Web-série à succès « Mon 1er contrôle d’identité », à laquelle ont participé les plus grands rappeurs de France (Oxmo Puccino, Sefyu, La Fouine…). Et par le Mouvement des jeunes communistes de France (MJCF), en campagne permanente contre le « délit de faciès », le seul acte qui ne fait l’objet d’aucune traçabilité.

Dans le Val-de-Marne et en Seine-Saint-Denis, la mobilisation s’est intensifiée après la relaxe, le 18 mai 2015, des policiers responsables de la mort de Zyed et Bouna. Un réseau de vigilance a été mis en place. « Les jeunes en ont ras le bol de se faire contrôler plusieurs fois par jour. C’est un marqueur mental, une discrimination qui se rajoute à l’exclusion sociale. Les jeunes demandent juste à circuler librement, à ne pas se faire humilier, insulter dans leur quartier, devant leur famille, leurs amis », explique Sabrina Robin, du MJCF 94. Prochaines étapes : obtenir un Observatoire des contrôles d’identité et, bien sûr, une loi.

« Le débat ne sera pas facile dans le contexte actuel de surenchère sécuritaire, reconnaît Christian Favier, sénateur PCF du Val-de-Marne. Mais on ne baisse pas les bras. Les politiques et la société civile doivent intensifier leurs actions pour changer le rapport de forces. »

(1) En ligne sur http://stopaucontroleaufacies.fr/

(2) Centre de recherches de Sciences-Po.

Contrôles au faciès. La vie des « gens comme nous » !

A diffuser, à partager un maximum pour une société plus juste !

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