L’ancien professeur de lycée agricole était arrivé dans ce ministère prestigieux et difficile avec des idées en phase avec les grands enjeux agricoles, alimentaires et climatiques du XXIème siècle. Mais la crise actuelle, imputable au fonctionnement de l’Europe agricole et conséquence directe des ravages du libéralisme économique en agriculture, a rendu son message de moins en moins audible chez des paysans qui luttent pour leur survie.
Après avoir été interpellé par des paysans exaspérés dans sa résidence sarthoise le week-end dernier, Stéphane Le Foll a vu le stand de son ministère quelque peu dégradé par des manifestants franciliens de la FNSEA samedi matin tandis qu’il accompagnait , sous les huées la visite du président Hollande. Sa semaine au Salon sera donc longue et difficile.
Pourtant, tant en raison de ses origines rurales que de sa formation d’enseignant de lycée agricole, ou encore de son passé de député européen spécialiste des dossiers agricole, Stéphane Le Foll portait à son arrivée dans ce ministère un regard lucide sur le type d’agriculture qu’il convenait de promouvoir en ce début de XXIème marqué par le réchauffement climatique. Car nous entrons dans un monde fini qui devra économiser les énergies fossiles comme les engrais. Il faudra aussi augmenter le taux de matière organique des terres agricoles, disposer d’assez d’eau , quitte à en stocker davantage, afin de pouvoir nourrir la population en dépit des sécheresses , des inondations et autres aléas climatiques.
La Loi d’Avenir que le ministre de l’Agriculture a fait voter en 2014 s’efforçait de répondre à ces défis. Cela implique de faire travailler la nature de manière intelligente en pratiquant l’agro-écologie au quotidien à travers le non labour, les associations de graminées et de légumineuses, la plantation de haies et de développement de l’agroforesterie pour s’adapter au réchauffement climatique. Mais comment convaincre les paysans de s’intéresser à de tels projets quand ils perdent de l’argent en trayant les vaches, en nourrissant les cochons et les jeunes bovins, voire même en cultivant du blé en Beauce, l’une des terres les plus fertiles de France ?
Au sein de’ l’Union européenne, nous sommes en présence d’une crise imputable au démantèlement des outils indispensables pour réguler la production agricole. Car cette dernière obéit à des contraintes qui n’existent pas dans d’autres secteurs économiques. Ses rendements sont dépendants des aléas climatiques et de la fertilité des sols. Les rendements peuvent souvent varier de 1 à 5 d’une région à l’autre selon la fertilité des sols dans un même pays, parfois même dans un même canton, voire sur une même exploitation. Or, dans ce siècle de tous les dangers climatiques, il faudra nourrir entre 7 et 9 milliards d’habitants sur la planète. Ce qui suppose de mettre à contribution les terres fertiles ; mais aussi les moins fertiles, tout en stoppant la déforestation afin de ne pas accentuer le réchauffement climatique. Oui, en France comme ailleurs, la valorisation intelligente de terres à faible potentiel agronomique sera de plus en plus indispensable pour produire une partie de notre nourriture. Cela n’est pas possible quand on promeut la concurrence de tous contre tous comme le répètent les prêcheurs de Bruxelles. Depuis des décennies ils nous récitent ce même catéchisme sur le dogme du tout marché, relayés par des perroquets dans nos assemblées élues comme dans trop de salles de rédaction.
En production agricole, il suffit que l’offre de produits périssables dépasse la demande de 3 à 5% pour que les prix baissent de 20 à 30% voire 50% comme on a pu le voir depuis des mois pour la viande de porc, le lait de vache, le blé tendre qui sert à faire du pain. C’est une spécificité de la production agricole. Voilà pourquoi les décideurs politiques européens avaient progressivement introduit dans la gestion de la Politique agricole commune de l’Europe dès la fin des années 1960 des prix indicatifs et des mesures de gestion pour stabiliser les prix payés aux producteurs. Ce fut aussi le rôle des quotas laitiers à partir du moment où le stockage de la surproduction devint trop coûteux pour le budget agricole de l’Europe en 1984. Aux Etats Unis, les aides contra-cycliques jouent aussi ce rôle stabilisateur en cas de baisse sensible des prix de marché. En Europe, ces mécanismes destinés à stabiliser les marchés ont été progressivement démantelés à partir de 1992 dans le but « d’adapter » la production agricole aux règles commerciales de l’Organisation mondial du commerce (OMC) à partir de 1994.
Voilà pourquoi on a abandonné toute idée de prix garanti pour les produits agricoles en Europe. Voilà pourquoi on a mis fin à la régulation de la production laitière en supprimant le quotas par pays dans le but illusoire de permettre aux transformateurs de faire du fric en vendant des millions de tonnes de poudre de lait à la Chine après avoir contribué a araser des millions d’hectares de forêt en Amérique du sud afin d’importer du soja pour nourrir les vaches. Voilà pourquoi , le ministre français de l’Agriculture n’a rien obtenu de ses collègues à Bruxelles alors qu’il ne demandait que des palliatifs comme du stockage public de denrées pour tenter de faire remonter les cours de quelques centimes par litre de lait ou par kilo de viande.
Voilà aussi pourquoi les concepteurs du stand du ministère de l’Agriculture sur le Salon semblent avoir voulu dépolitiser le débat sur les vrais enjeux en posant des questions du genre : « qu’est-ce que l’agriculture et l’alimentation citoyenne ? Quels gestes simples pour lutter contre le gaspillage alimentaire? Comment cuisiner les légumineuses?». Pas de quoi inquiéter le monde la finance désigné comme son seul ennemi par François Hollande en janvier 2012 !