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7 mars 2015 6 07 /03 /mars /2015 10:34

Les djihadistes saccagent le musée de Mossoul. Celui de Bagdad rouvre sur fond de trafic d’antiquités.

 

Ils frappent de toutes leurs forces. Munis de massues, trois hommes à visage découvert s’acharnent à détruire une grande statue de pierre qu’ils viennent de faire tomber de son socle. « Nous sommes là pour appliquer la charia, les préceptes du Prophète ! » clament-ils. Un peu plus loin, un marteau piqueur est utilisé pour pulvériser les représentations des rois et des divinités qui ornaient les temples et palais de la ville d’Hatra, aux deux premiers siècles de notre ère. Autour d’eux, un comparse donne des indications sur les vestiges à mettre à terre tandis qu’un autre filme la scène. Celle-ci se déroule dans la galerie assyrienne du musée de Mossoul, grande ville du nord de l’Irak tombée aux mains des djihadistes de Daesh en juin 2014.

 

La vidéo a été mise en ligne sur Internet le 26 février par le service de propagande de Daesh. Elle dure cinq minutes et montre d’autres attaques, notamment sur le site de Ninive. Dans cette ancienne capitale de l’Empire assyrien (deuxième millénaire avant Jésus-Christ), sur les ruines desquelles s’est développée Mossoul, l’immense taureau ailé en granit de Nimrud, dont le frère jumeau se trouve à Londres, au British Museum, est méthodiquement découpé à la scie électrique puis achevé à la masse. Ce relief de quatre mètres de haut se trouvait sur le site dit de la porte de Nergal.

 

Des actes de vandalisme qui ont suscité l’indignation internationale

Sous le règne du roi d’Assyrie, Sennacherib, cet imposant animal était censé, comme les autres protecteurs placés aux portes des palais royaux, défendre et repousser les envahisseurs. Il n’aura rien pu faire contre les hommes de Daesh. « Fidèles musulmans, ces artefacts derrière moi sont des idoles pour les peuples d’autrefois, qui les adoraient au lieu d’adorer Dieu », explique dans le film un des combattants de Daesh. « Les soi-disant Assyriens, Akkadiens et d’autres peuples avaient des dieux pour la pluie, pour les cultures, pour la guerre », poursuit-il en s’adressant à la caméra, avant de rappeler que « le Prophète a ôté et enterré les idoles à La Mecque ». Les deux saccages ne sont pas datés, mais selon plusieurs spécialistes, ils auraient eu lieu en décembre 2014 pour le musée de Mossoul et janvier 2015 pour le site de Ninive.

 

La disparition du taureau ailé de Nimrud a ravivé le souvenir du dynamitage par les talibans des deux bouddhas géants de Bâmiyân, en Afghanistan, et a suscité une indignation internationale. La directrice générale de l’Unesco, l’agence des Nations unies pour la protection du patrimoine mondial, a dénoncé un « nettoyage culturel ». « Cette tragédie est loin d’être seulement un enjeu culturel : c’est un enjeu de sécurité majeur, et l’on voit bien comment les terroristes utilisent la destruction du patrimoine dans une stratégie de terreur, pour déstabiliser et manipuler les populations, et assurer leur domination », a réagi Irina Bokova. Plusieurs statues vandalisées venaient du site de Hatra, inscrit sur la liste du patrimoine mondial de l’Unesco. Trop lourdes et fragiles pour être déplacées, elles n’avaient pu être transférées à Bagdad.

 

L’attaque contre les trésors archéologiques de Mossoul n’est pas la première depuis l’arrivée de Daesh dans la région. La semaine dernière, près de 8 000 livres rares de la bibliothèque municipale de Mossoul auraient été brûlés. Cette bibliothèque abritait des manuscrits du XVIIIe siècle et des journaux irakiens du début du XXe. En janvier, des milliers d’ouvrages avaient déjà été saisis à l’université de Mossoul et dans diverses librairies de la ville puis brûlés. En juillet 2014, le mausolée du prophète Nabi Yunus, dit Jonas, avait été rasé à Mossoul. Puis, ceux des prophètes Seth et Jirjis, ainsi que de nombreux autres sanctuaires dans les alentours.

 

L’objectif ? Le même à chaque fois : éradiquer les traces du passé. « Ce type d’organisation ultraradicale prétend que tous ces symboles de la mémoire collective sont des blasphèmes, des atteintes profondes à la pureté de la religion. Cette destruction systématique relève d’un nihilisme radical. C’est un crime contre la civilisation, la culture, l’histoire », analyse l’anthropologue irakien Hosham Dawod.

 

La culture est une arme à double tranchant pour Daesh. D’un côté, le groupe islamiste l’utilise à des fins idéologiques ; de l’autre, comme un moyen pour se financer grâce au trafic d’antiquités. Selon l’Unesco, le trafic archéologique en Irak atteindrait 7 milliards d’euros. « Nous disposons d’informations selon lesquelles l’“État islamique” a détruit certaines pièces à Mossoul et en a gardé d’autres pour les vendre en contrebande, et ces ventes sont déjà amorcées », a affirmé avant-hier le premier ministre irakien Haïder Al-Abadi.

 

Une déclaration faite au cours de l’inauguration officielle de la réouverture du musée de Bagdad, douze ans après sa fermeture pour cause de pillage. Un tiers des quelque 15 000 pièces volées lors de la chute de Saddam Hussein a pu être récupéré. La date de cette renaissance culturelle est tout sauf une coïncidence, a expliqué le vice-ministre irakien du Tourisme et des Antiquités, Qaïs Hussein Rachid. « Les événements à Mossoul nous ont poussés à accélérer notre travail et nous voulions ouvrir dès aujourd’hui, en réaction à ce qu’ont fait les criminels de Daesh. »

 

La culture, champ de bataille
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